Observer, comprendre, raconter

Valérie Handweiler, journaliste

Covid-19 : les anticorps monoclonaux, traitement prometteur mais coûteux

Journal Le Monde – Edition datée du dimanche 14 – lundi 15 février 2021.

L’Agence européenne des médicaments a entamé l’évaluation de ces molécules qui imitent nos anticorps naturels, et dont l’Allemagne a commandé 200 000 doses. 

Les vaccins ne constituent pas le seul horizon dans la lutte face au Covid-19. La recherche sur les traitements se poursuit, parmi lesquels les anticorps monoclonaux sont parmi les plus avancés. Fin janvier, l’Allemagne a ainsi annoncé une commande de 200 000 doses de ce type de thérapie proposées par deux groupes pharmaceutiques américains, Regeneron et Eli Lilly, pour un montant de 400 millions d’euros, soit 2 000 euros par dose.

De fait, les traitements par anticorps monoclonaux, actuellement utilisés pour soigner des maladies auto-inflammatoires chroniques ou certains cancers, sont extrêmement coûteux en raison de leur mode de production délicat. Ces molécules sont multipliées artificiellement in vitro, à partir d’anticorps naturels, par des bactéries ou des cellules sélectionnées pour leur aptitude à produire un anticorps particulier – d’où leur dénomination.

Le principe est de fournir à l’organisme des doses importantes de ces molécules qui miment la fonction des anticorps que notre corps pourrait fabriquer naturellement pour se défendre contre la présence d’un virus. Concernant le Covid-19, les traitements développés par les sociétés Regeneron et Eli Lilly étaient les seuls parvenus en phase III et qui avaient montré une efficacité sur la réduction de la charge virale, à un stade précoce, chez une personne infectée par le SARS-CoV-2.

Jeudi 11 février, les responsables de l’essai britannique Recovery ont annoncé qu’un anticorps monoclonal repositionné, généralement utilisé contre la polyarthrite rhumatoïde, le tocilizumab, réduisait la mortalité chez les patients hospitalisés pour Covid-19. L’effet observé correspondait à sauver un patient supplémentaire par rapport aux soins standard chaque fois qu’on traitait vingt-cinq malades avec cette molécule.

En France, au printemps, l’annonce de résultats similaires avait été jugée prématurée, un nombre insuffisant de patients ayant à ce stade été enrôlés dans l’essai Corimuno. Les données complétées, publiées en octobre 2020, avaient confirmé une limitation de l’aggravation et de transfert en réanimation. Les données de Recovery, qui n’ont pas encore été publiées dans une revue scientifique, suggèrent que le tocilizumab pourrait être utilisé en combinaison avec un corticoïde, la dexamethasone, avec pour effet de réduire d’un tiers la mortalité des patients ayant besoin d’oxygène, et de près de la moitié pour ceux placés sous assistance respiratoire mécanique.

Populations les plus à risque

Le cocktail de Regeneron est lui toujours en cours d’évalution dans l’essai Recovery. Combinaison d’anticorps monoclonaux casirivimab et imdevimab nommée « REGN-CoV2 », il avait fait beaucoup parler de lui en octobre 2020, puisqu’il avait été administré à Donald Trump, alors président des Etats-Unis, dans les premiers jours qui avaient suivi son diagnostic de Covid-19. Dans le contexte de crise, ces molécules avaient bénéficié aux Etats-Unis, en novembre 2020, d’une autorisation en urgence comme traitements expérimentaux par la Food and Drug Administration (FDA).

Plus récemment, le 26 janvier, la société Lilly a communiqué sur les résultats d’un nouvel essai en phase III, qui montrent de bons résultats de l’association de son premier anticorps avec un second, l’etesevimab, proposant ainsi elle aussi un cocktail de deux anticorps. Cette société a aussi communiqué sur la possibilité d’utiliser le bamlanivimab en prévention.

Pour un déploiement en Europe de ces anticorps monoclonaux dans une indication de Covid-19, une demande d’autorisation de commercialisation doit être soumise par les compagnies pharmaceutiques à l’Agence européenne des médicaments (EMA). Un premier pas a été franchi en ce sens puisque l’EMA a annoncé, le 1er février, avoir commencé l’évaluation progressive (rolling review) de la combinaison « REGN-CoV2 », codéveloppée par Roche et Regeneron. La commande de l’Allemagne porte précisément sur ce cocktail, ainsi que sur le bamlanivimab de la société Eli Lilly.

Lire aussi  Covid-19 : le chemin de croix du vaccin d’AstraZeneca

« Nous avons franchi une étape dans la recherche, qui s’était d’abord focalisée sur de vieux médicaments que l’on essayait de repositionner sur le Covid-19, se félicite Brigitte Autran, responsable du groupe anticorps monoclonaux du réseau REACTing (aujourd’hui intégré à la nouvelle agence « ANRS maladies infectieuses émergentes »). Nous sommes entrés dans une phase où l’on fait des recherches pour des médicaments nouveaux qui ciblent spécifiquement le virus. »

Dans les expérimentations arrivées en phase III, ces traitements sont injectés sous perfusion à des personnes fragiles dans les sept premiers jours suivant un test positif. Leur prix nécessite en effet de cibler les populations les plus à risque – immuno-déprimées, par exemple en raison d’un cancer – et non l’ensemble des individus dont le test est positif. En outre, « en aucun cas les anticorps monoclonaux ne peuvent être administrés à des personnes déjà au stade sévère de la maladie », rappelle Mme Autran.

Quatre études en France

Pour l’instant, ces traitements administrés sous perfusion imposent une logistique relativement lourde. Même en hospitalisation ambulatoire, une ou deux heures de perfusion requièrent une demi-journée de présence à l’hôpital pour des patients dont le stade précoce de la maladie ne nécessite pourtant pas une hospitalisation. Des études de formulation pourraient conduire à des injections plus rapides, par exemple en sous-cutanée.

« La France va accélérer ses travaux de recherche sur les traitements à base d’anticorps monoclonaux, qui peuvent permettre d’éviter à un patient atteint du coronavirus de développer une forme grave de la maladie, peu après son diagnostic », a annoncé le 31 janvier le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. En France, quatre études sur le sujet devaient démarrer, avait confirmé Brigitte Autran.

Lire aussi  Le point sur l’épidémie de Covid-19 en France : le variant britannique représente un quart des infections

D’autres traitements à base d’anticorps « naturels » devraient livrer très prochainement les conclusions de leurs essais cliniques, en finalisation. A Marseille, comme à Paris ou à Lille, des résultats sont attendus et concernent par exemple l’utilisation de plasma de convalescents – très riche en anticorps – toujours à des stades relativement précoces après le diagnostic et à destination des personnes fragiles.

« Les anticorps monoclonaux offrent une grande promesse d’efficacité, notamment chez les personnes à l’immunité réduite, et un gros impact est attendu en complément des vaccins », confirme Carmen Perez Casas, pharmacienne et virologue, responsable technique chargée du suivi des traitements contre le Covid-19 chez Unitaid.

Cette structure codirige, avec le Wellcome Trust, le pilier « traitements » de l’Accélérateur ACT, dispositif lancé par l’Organisation mondiale de la santé dont l’objectif est d’accélérer le développement, la fabrication et la mise à disposition équitable de traitements contre le Covid-19. « L’enjeu est de rendre les anticorps accessibles à grande échelle. » Etant donné leur prix très élevé, ce pari n’est pas gagné.

Valérie Handweiler

Au Suivant Poste

Précedent Poste

Poster un Commentaire

© 2025 Observer, comprendre, raconter

Thème par Anders Norén