Roulement de tambour. Un vent glacé fait tournoyer les feuilles mortes et cisaille les nuques bien dégagées des enfants de l’école communale. Ils sont là tous, les 12, les enfants de la classe unique, en rang d’oignons, au garde-à-vous devant le monument aux morts de la place du village. Nous sommes le 11 novembre 1976 et le Général de Gaulle est mort depuis 7 ans seulement.
Le discours commence. Le maire arbore fièrement son écharpe tricolore. Il lit son papier, concentré. Il n’a visiblement pas l’habitude et l’émotion est là. Il honore les combattants de la guerre de 14. Nombreux. Des familles entières de jeunes garçons du village, envoyés au front et jamais revenus. Leurs noms sont incrustés dans le marbre du monument.
Tout ceci semble loin et proche en même temps. Tout le village est là et écoute, sans entendre. Ils ont tous à la boutonnière un œillet en autocollant, acheté 1 Fr pour le sou des écoles. Des poilus, il en reste un seul au village. Il a 80 ans et se tient droit, lui aussi dans le vent. Digne. Le discours s’arrête. Nouveaux roulements de tambour, clairon. Cela raisonne dans la poitrine. Deux enfants sont désignés pour déposer une gerbe de fleurs au pied du monument, au milieu des drapeaux qui flottent au vent. Un soleil bas filtre entre les dernières feuilles des arbres dénudés.
Nouveau tambour, nouveau clairon. Enfin c’est fini, les enfants peuvent se disperser, courir. Les adultes marchent, discutent. Les pas font grincer le gravier de la place. Tous se dirigent vers la salle communale, salle de sport de l’école où un buffet a été dressé. Il y a du vin, des sirops et des verres en verre ; le plastique n’a pas encore colonisé le monde.
AUX ENFANTS DE MOTZ MORTS POUR LA France 1914-1918
Les hommes parlent de chasse ; les femmes de la prochaine réunion tupperware. Nous sommes au siècle passé. Un siècle sans internet. Un chaleureux brouhaha a envahi la pièce. Les enfants sillonnent entre les convives. Des verres sont renversés. Le vin d’honneur s’éternise mais on est un jour férié et rien n’attend personne, sauf peut-être un repas tenu au chaud dans le four. On est le 11 novembre 1976. Les gens du village boivent, les enfants gambadent. C’est l’automne comme chaque année.